110192 SE Literature Seminar (BA) - French (2019S)

Comme le voyage lui-même, « a thoroughly gendered category » (Patrick Holland/Graham Huggan), la littérature de voyage, participant traditionnellement d’un « imaginaire de conquête, de possession, de mainmise et d’emprise » (François Hourmant), constitue un terrain privilégié de la renégociation des identités genrées, entre affirmation et subversion.
Dans le cadre de ce séminaire, nous réfléchirons sur les métamorphoses du genre (au double sens du terme) dans la littérature de voyage de l’extrême contemporain. « […] le voyageur n’a pas de genre » (ainsi que le soutient Alice Plane) ? Tout en évitant les pièges d’une approche essentialiste, il s’agira d’analyser la manière dont le (récit de) voyage met en scène – et en question – le genre et le sujet genré en tant que construction socioculturelle et discursive. Comment des auteures postmodernes affrontent-elles les défis réels du voyage – surtout du voyage en solitaire – au féminin ? Comment s’inscrivent-elles dans la tradition d’un genre riche en topoï « masculinistes », associant pays étranger et corps féminin, exotisme et érotisme, transformant le voyage en « métaphore brouillée mais sans cesse reconduite d’un acte sexuel » (Jean-Didier Urbain) ?
Entre aspects pragmatiques et poétologiques, l’on peut se poser la question de savoir si – et si oui, de quelle façon – la conflictualité inhérente au récit de voyage « féminin » favorise aussi des expériences au niveau de la forme. Karen Guillorel (« De l’aventure au voyage intérieur. Paris – Istanbul – Jérusalem », 2009) cherche à réhabiliter un « genre dit mineur », misant sur l’« autofiction de voyage » comme alternative aux « récits classiques ». L’écriture d’Astrid Wendlandt (« L’Oural en plein cœur. Des steppes à la taïga sibérienne », 2014) se situe également dans une zone doublement transgressive en termes de genre, « où l’imaginaire se mêle à la réalité ». Sous le titre « Le monde sans vous » (2011), Sylvie Germain renoue avec la tradition philosophique du récit de voyage ; dans un texte-palimpseste entretissant parole propre et étrangère, elle ébauche une poétique de la « colonisation mutuelle » du réel et de l’imaginaire.
Genre hybride, « frictionnel », le récit de voyage entretient un rapport fort complexe avec l’intertextualité. Qu’en est-il dans notre corpus, entre revendication d’une filiation alternative du voyage féminin et confrontation avec un héritage littéraire à forte domination masculine ? Ainsi, dans l’œuvre d’Aude Seigne (« Chroniques de l’Occident nomade », 2011), se déploie un incessant dialogue intertextuel avec les grands prédécesseurs masculins, entre hommage et détournement ludique ; pour Diane de Margerie (« Isola. Retour des îles Galapagos », 2003), la « délivrance » du départ correspond à l’évasion littéraire dans un « monde féminin ».
Enfin, les textes étudiés incitent à s’interroger sur la dimension éthique de la littérature de voyage. Antagoniste et en même temps complice involontaire de l’exploitation d’un monde globalisé à l’usage des touristes, le voyageur, pour Clara Arnaud (« Sur les chemins de Chine », 2010), remplit pourtant aussi une fonction éthique comme « témoin éveillé », « curieux » au sens fort du terme : « Le voyageur est un curieux. Le mot vient du latin ‘cura’, le soin : il faudrait donc des curieux pour prendre soin du monde, […] pour prendre soin des autres, raconter leurs histoires […]. »
Exercice de « curiosité », ce séminaire se veut à son tour une « invitation au voyage », voyage littéraire et théorique qui nous emmènera, au cours du semestre, à travers un paysage textuel aussi riche que varié, des îles Galapagos à la Chine, de Paris à l’Oural, de la Méditerranée à la taïga sibérienne.

Méthode : séquences de cours magistral (introduction thématique et théorique) ; exposés des étudiant-e-s ; lecture et discussion d’extraits de textes ; rédaction individuelle d’un mémoire de fin de séminaire/mémoire de BA.